MOMOTARO — ICINORI

Mayumi Otero & Raphael Urwiller fondent Icinori en 2009 à Strasbourg, une maison d'édition associative. Ce projet expérimental et artisanal, où le matériau, la couleur, le geste et le processus de production sont essentiels, permet à la réalisation d'être aussi importante que la conception; ce qui sert particulièrement le livre animé.


UN POP-UP

La légende japonaise Momotarō raconte le voyage initiatique d’un jeune garçon. Momo (la pêche) Tarō (un prénom de garçon très répandu au Japon) est recueilli bébé par une vieille femme qui le découvre à l’intérieur d’une pêche géante voguant sur une rivière et l’élève avec son époux. L’enfant s’avère paresseux, mais lors d’une corvée de bois, il révèle une force insoupçonnée et se fait remarquer par les dieux. Appelé à combattre des démons, il vainc grâce à l’entraide de trois animaux rencontrés sur son chemin (un chien, un singe et un faisan), qu’il nourrit de façon désintéressée et qui le secourent à tour de rôle. Il revient chez ses vieux parents adoptifs avec un trésor et y finit ses jours paisiblement. Ce conte traditionnel, très populaire, a été adapté et transposé à plusieurs époques et sur de nombreux supports (livre, chant, dessin animé…) Dans cette version, il est dessiné et découpé par Icinori, sous la forme d’un livre pop-up (dénommé aussi livre animé ou livre à système).

Le livre animé, qui apparaît dès le XVIe siècle [ 1 ] mais se généralise vraiment au début du XIXe siècle, fonctionne sur un principe de surprise et de manipulation. Il se définit comme un espace imprimé où certaines pièces sont mobiles, jaillissent ou se transforment : figurines détourées à poser à côté du livre, à habiller ou à glisser parmi un décor, têtes de personnages à remplacer ou à incliner, morceaux de papier à tourner, tirer, soulever, déployer, plier… [ 2 ] Chaque double-page, telle une scène de théâtre, implique le lecteur qui « anime » l’image et devient acteur de sa lecture. Cette construction animée est particulièrement présente dans les ouvrages pédagogiques et scientifiques puisqu’elle décompose le propos et sollicite le lecteur par le geste interactif ; elle a également envahi le livre pour enfants à travers un statut hybride de livre-jouet.

Or, Momotarō n’est ni un livre à manipuler (à l’aide de tirettes ou autres roues) ni un livre à destination exclusive des enfants. Il contient une succession de tableaux en relief, issus des volumes créés par le papier découpé et plié. Assez épuré dans ses structures de construction, il joue avec la profondeur et n’exploite qu’une seule des possibilités offertes par le dépliage du papier : la révélation d’un décor en volume par l’ouverture de la double page. Ceci maintient le lecteur dans une contemplation émerveillée mais passive. Il s’inscrit dans la filiation des peep-shows(décor en profondeur) ou des livres tunnels, qui utilisent la succession des plans et la lumière pour créer de la profondeur. Le principe évoque aussi le diorama, par sa mise en scène d’un sujet au sein d’un environnement. Le diorama didactique ou de reconstitution est d’ordinaire plutôt historique ou scientifique, puisqu’il peut représenter dans un souci d’exhaustivité et de réalité une scène de bataille décisive ou un animal dans son biotope. Ici, il devient fantasmagorique et met en valeur le décor qui comporte une grande richesse de détails : assemblage d’architectures, de végétaux, de monstres…

Momotarō est représentatif de la démarche d’Icinori, tant sur le choix de la narration (la quête initiatique , le bestiaire, le héros solitaire) que sur celui de l’association de couleurs : le rouge lumineux superposé aux teintes claires (bleu, beige, jaune sable et gris). Les thèmes du voyage et du paysage, présents dès les premiers ouvrages (les lepporelli [ 3 ] Gourdin, ou Dents, 2009), s’épanouissent dans ce livre relief qui segmente la perspective et détache les personnages [ 4 ]. En effet, l’espace des dessins d’Icinori est souvent divisé en plans successifs par un effacement progressif des contrastes et construit en plongée, à la façon des estampes japonaises.

Deux dessinateurs, Mayumi Otero & Raphael Urwiller, fondent Icinori en 2009 à Strasbourg. Cette maison d’édition associative leur permet de développer eux-mêmes leurs livres en totale indépendance puisqu’ils en contrôlent toutes les étapes de façon artisanale [ 5 ] : conception, écriture, dessin, impression, façonnage, diffusion. Cette organisation se prête particulièrement bien au livre animé [ 6 ], qui nécessite toujours un assemblage manuel, même produit en très grande série dans des pays où la main d’œuvre est peu coûteuse.

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LE LIVRE
Icinori (Mayumi Otero & Raphael Urwiller), Momotaro, Sérigraphie 8 couleurs / Gauffré, doré, toilé / Pop-up coupé et monté à la main / 110 ex N°-S. / 129€ / épuisé


UNE NOTICE DE SANDRA CHAMARET, PUBLIEE DANS LE CATALOGUE DE L’EXPOSITION METAMORPHOSES, AVRIL 2015, BIBLIOTHEQUE NATIONALE UNIVERSITAIRE DE STRASBOURG


NOTES

[ 1 ] En 1524, Cosmographie, ou Description des quatre parties du monde, contenant la situation, division & estendue de chascune region & province d’icelles, de l’astronome et mathématicien allemand Pierre Apian, est le premier livre à système imprimé, « avec figures à ce convenantes, pour donner plus facille intelligence. »
[ 2 ] Le premier livre à tirettes connu, Le livre joujou, avec figures mobiles de Jean-Pierre Brès, paraît en décembre 1831. La volonté pédagogique de l’auteur de ce conte moral est de « mettre en action » les scènes, de les animer par surprise, à l’image des apparitions provoquées par les baguettes de fées. Le premier livre avec des scènes en relief paraît en Autriche en 1835. Sur ce sujet, lire l’article de Jacques Desse.
[ 3 ] Momotaro a fait l’objet d’une édition antérieure chez Icinori, sous la forme d’un leporello, forme en accordéon chère à la maison d’édition à ses débuts.
Mayumi Otero, Momotaro, Icinori, 2009 / Couverture: sérigraphie 2 couleurs – dorure / Intérieur: sérigraphie 3 couleurs, 250g sur papier de couleur / Réalisé à la main / 15 * 10 cm / 25 ex, N°-S
[ 4 ] Dans un entretien, Icinori revendique l’influence du Tchèque Vojtech Kubašta (1914-1992), architecte de formation, qui a conçu plus d’une centaine de livres animés en usant de moyens simples grâce à son excellente compréhension des volumes. (Jean-Charles Trebbi, L’art du pop-up et du livre animé, éditions Alternatives, Paris, 2013, p.128)
[ 5 ] L’atelier est équipé d’un matériel d’impression et de façonnage (RISO 8 couleurs, une presse Taille douce, une stappler 101, des plioirs et des cutters…).
[ 6 ] Autres pop-ups édités par Icinori :
• Raphael Urwiller (texte, illustrations, design), Construction< / Sérigraphie 7 couleurs / Gauffré, doré, toilé / Réalisé à la main / 50 ex N°-S. / épuisé • Mayumi Otero (texte et illustrations) & Raphael Urwiller (design), Mauvais tours / Sérigraphie 7 couleurs / Gauffré, doré, toilé / Réalisé à la main / 50 ex N°-S. / épuisé
• Jean Lecointre & Mayumi Otero & Raphael Urwiller (texte, illustrations, design), Pêchés chapiteaux, 2013 / panoramique en deux décors / Sérigraphie 7 couleurs / Format : 39 x 32 cm / 100 ex. N°-S / 135€ / diffusé par Arts factory